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15 Jan 2021

Trouver le sens de cette incapacité de faire sens !

LE SENS EST PROTECTEUR DE L’ERRANCE:

La question du sens nous situe immédiatement au cœur de la subjectivité, comme fondement du sujet parlant et dynamique de l’être. Le sens comme orientation, comme direction, comme perception et vécu satisfaisant, jouissif…orientant notre désir, nos émotions et nos buts. Ce sens-là, nous protège des surprises de l’errance et de la perte. Il joue le rôle d’une peau psychique unificatrice du moi dans ses processus d’adaptation dus à son environnement interne et externe.
La psychologie du sens, aussi vieille que la pensée platonique, est revenue sur la sellette depuis une vingtaine d’années. Psychologues et psychosociologues ont démontré l’importance de l’instance du sens en tant que dimension psychique, cognitive et comportementale. La quête du sens, chez le sujet parlant, pourrait être considérée dans la dynamique surmoïque, comme l’assise de la pyramide des valeurs. Nous trouvons les traces et l’effet de cette quête du sens, notamment sur le plan du travail en général, au sein de l’organisation, de la famille…ainsi qu’en soi-même dans l’effort de l’adaptation et la sauvegarde de son intégrité identitaire.

PAS DE SUJET PARLANT SANS SENS :

La littérature est abondante qui montre que le sens peut résider, s’incarner, dans un geste, dans une parole, dans une simple idée…ça nous enchante, ça nous réjouit…de tomber juste sur ce qu’il nous faut, ce qui nous complète et nous réunit à cette dimension de nous-mêmes qui nous échappe et que nous ne pouvons reconnaître et aborder que par la symbolique du sens en nous. Ce sens qui nous « nomme », nous « reconnait » dans et à travers les sens de la Vie. Les créativités artistiques en témoignent. La beauté d’un tableau, d’un paysage ou d’un mouvement gracieux du corps d’un danseur… nous éblouit par le sens qu’une telle beauté réveille en nous : comme vérité d’être. De même, la gestion de l’espace-temps ne pourrait se faire qu’à partir d’un sens et pour un sens. Comme si le sens était une ombre de notre corps qui se donne comme réalité symbolique et sens de ce qui demeure insaisissable de ce corps avec qui nous menons notre vie. Nous apprivoisons notre corps par le sens de nos huit sens, par le sens que nous lui donnons et qu’il nous donne.

SENS ET PSYCHOTHÉRAPIE:

C’est dans la trame d’une psychothérapie que l’on saisit le rôle capital de la notion de sens : visibilité de ses repères, de ses limites et de ses atouts. Le sens se manifesterait comme une lumière intérieure qui permet à notre œil intérieur (la basira) de voir les zones sombres en nous et au-delà de nous.
Le sens, ici, en tant que construction psychique cognitive première, quelle que soit la technique utilisée : dessin, expression corporelle, etc. fait naître le sujet de la perception, l’objet de l’orientation, activant satisfaction et plaisir et enrobant l’objet du désir d’une auréole hallucinante apaisante et durable , tout en inscrivant l’acte, et l’activité, dans une dimension de créativité. Si le patient n’arrive pas à entendre, voir, assimiler et exprimer son vécu du sens (construit, trouvé, récupéré), son expérience psychothérapeutique n’avance pas, si elle ne traine pas dans une stérilité de sens.

TRANSMISSION DE SENS:

Certes, la perspective du sens est à conquérir au prix de la capacité de ses investissements libidinaux narcissiques et objectaux ; au prix, aussi, de reconnaître ses limites, ses failles et la douleur de se confronter avec sa propre vérité. Certains patients peuvent se bloquer devant la porte du sens de leur vie…comme si dans leur plainte, dans leur désorientation, ils demandaient au psychothérapeute de leur « indiquer » un sens, le sien pour s’y introduire et faire économie de la découverte, de la surprise et du risque que ceci implique. L’identification et la projection sont un mécanisme psychique important dans la relation transférentielle, certes, mais dans la « quête du sens et/ou la « perte du sens », le sujet est nu, seul, devant sa propre vérité de laquelle, paradoxalement, s’origine et émerge son sens propre !

SOINS PALLIATIFS :

La question du sens, en tant que en concept psychothérapeutique fertile et opérant, s’illustre dans les soins palliatifs. Ceux-ci définis par l’O.M.S (2002) comme « une approche qui vise à combler la qualité de vie des patients et de leurs proches par la prévention, l’identification et le traitement de la douleur et des autres difficultés de type somatique, psychosocial ou spirituel ». Dans le cadre psychothérapeutique des soins palliatifs, il est constaté l’efficacité de l’élaboration psychique et cognitive du sens de soi et du monde. Bien entendu, nous puisons du sens en psychothérapie dans sa perspective éthique, imaginaire et symbolique. Autrement dit, un sens n’est efficace que s’il touche la personne dans les couches de sa culture, les nerfs de ses croyances et son imaginaire, dans le champ de sa propre histoire. Consciemment et/ou inconsciemment, le patient et son thérapeute échangent, discutent et s’imaginent un certain sens, une dose de sens…comme arrière fond d’un bien entendu ou d’un mal entendu du mouvement du sens.

IDENTITÉ ET SENS:

Ça tient au sens : toutes les panoplies de la sublimation s’accrochent à un sens, trouvé, plus ou moins stable, mais durable. Cette transmission ou contagion, à notre insu, de notre sens de la vie et dans la vie-comme nos parents nous l’avaient inculqué- se réfère aux assises de notre identité sexuée. Le sens identitaire et ses supports imaginaires et symboliques nous l’avons construit depuis notre angoisse de castration à l’époque oedipienne, et nous continuons d’élaborer notre vie durant, à travers nos formations psychiques inconscientes, notre métier, nos activités au quotidien… Un tel ou tel sens, admis par le moi, s’incruste dans le processus psychique, comme un cristal tenant lieu d’orientation, de direction et d’affirmation surmoïque, stabilisante de et à nos émois…dans le but d’offrir un cadre, une enveloppe pour notre identité d’homme ou de femme. Paradoxalement, dans la dimension identitaire du sens, tout est précis, lié et référencié…au sexe, à la culture, au rôle ( au sens de Moreno). L’identité fonctionnerait pour le sujet comme un miroir des sens, articulés par un sens construit par un nombre infini de connexions et de rencontres permettant de s’inscrire dans le tissu social et culturel.

SENS ET TRAVAIL:

La question du sens au travail est pertinente pour la stratégie d’entreprise dans notre société de consommation. L’entreprise a encore du mal à inscrire la dimension subjective du sens comme un levier et un stimulant à une rentabilité maximale de l’ouvrier. On a l’impression que la question du sens s’impose dans le monde du travail (organisationnel ou personnel, public ou privé) d’une façon urgente et à tout un chacun, non seulement pour améliorer les paramètres de l’excellence, mais pour réagir à un état de crise.. La crise du covid-19 a tendance à fragiliser les liens habituels dans le corps social.. Ses symptômes de confinement et de distanciations ont révélé maintes failles dans nos systèmes : éducation, économie, santé et entreprises. On suppose qu’une telle pandémie serait due à la propagation d’un virus qui, jamais, n’aurait dû se trouver en contact avec l’humanité si les écosystèmes avaient été respectés. Des chercheurs soutiennent un facteur écologique qui met en cause nos systèmes d’exploitation des ressources naturelles et humaines non renouvelables. La pandémie nous dit d’une manière spectaculaire que nos systèmes de production, d’échange, nos organisations sociales, politiques, de santé et de travail, nos modes de vie et de coopération, etc., sont appelés à devoir changer.
Nous allons trouver un vaccin, un anti-covid-19, nous allons retirer nos bavettes, nos masques, nos « Kammamat », mais sommes-nous capables d’admettre que le sens de notre vie, de nos activités, de notre scolarité, de notre état de santé, le sens de nos prières…va-t-il être impacté, évolué, changé ? Ou, nous nous réconfortons dans un « je ne veux rien savoir », une fois le feu pandémique covid-19 est éteint, les choses fonctionnent comme elles avaient fonctionné toujours : la demeure de Jacob demeurera telle qu’elle est !

NOTRE SENS DE VIE EST AVEC L’AUTRE :

Pour conclure, sans l’autre, la construction d’un sens n’aura-t-elle pas de sens. Toute requête de sens est un engagement avec l’autre, dans un projet constructif pour les deux et qui nous dépasse tous les deux. Après l’expérience du confinement sanitaire à cause du corona virus, chacun, me semble-t-il, a été en mesure de prendre conscience de la fragilité de sa situation singulière, de l’illusion de la toute-puissance narcissique, individuelle. Si le patronat, qui mène le jeu des sens sur la scène financière mondiale, pourrait admettre que la communauté, l’organisation est structurée et tient à partir des liens qui se tissent, en tant que sens, entre les individus leur donnant sens de se supporter et d’être ensemble pour quelque chose…il aura compris que l’expression du besoin de sens est parfaitement subjectivement constructive et libératrice. A l’instar de ce qui se fait, actuellement, dans certaines institutions éducatives, l’entreprise marocaine gagnerait à mettre en place des modalités de dialogue et de construction d’un nouveau modèle de leadership, capable de régénérer desmodes communicationnels ouverts, paisibles et sécurisants où la personne puisse questionner son sens de vie dans l’entreprise. C’est ça la visibilité, et l’outil d’une visibilité d’avenir épanouissante, participative et constructive : trouver, ensemble, le sens de cette incapacité de faire sens !

 

M. Nabil GHAZOUANE
Docteur en Psychologie clinique,
Psychothérapeute.

 

Article du magazine « AIGLE »7ème édition