Nous avons vu dans le précédent numéro d’AIGLE (N°5), et toujours dans le cadre de la Partie 2 de cet article, que le Besoin de Donner Sens peut nous conduire à attribuer de la Signification même à l’Aléatoire, en recourant, par exemple, à des corrélations illusoires nous donnant ainsi une illusion de contrôle. Nous poursuivons dans le présent numéro la présentation d’autres biais liés à une autre grande illusion, celle de croire lire dans les pensées des autres.
PARTIE 2 : BESOIN DE DONNER DU SENS (suite)
2°- CROIRE SAVOIR CE QUE LES AUTRES PENSENT
Vivant en communauté, nous supposons que les autres pensent et agissent comme nous. Et par conséquent, nous croyons deviner ce que les autres savent et même « lire » leurs intentions. Notre cerveau a besoin de comprendre la signification du comportement de l’autre pour nous réconforter dans notre position.
2.1- Lecture de pensée
Croire pouvoir lire « dans la tête » des autres ou croire savoir ce que les autres pensent. Cette illusion de transparence nous fait croire que nous « devinons » ou interprétons ce que nous croyons que l’autre pense (sait ou sent) à partir d’éléments subjectifs que nous qualifions, bien entendu, d’objectifs. N’étant pas télépathes, ce biais, fréquent au sein des couples, peut nous conduire à des erreurs d’interprétation, donc à des malentendus, voire à de la souffrance. Elle peut prendre la forme d’une inférence arbitraire qui « déforme » la situation pour la faire coïncider avec notre cadre de perception.
Exemple d’illusion de transparence : « Je sais ce que tu penses », « Tu n’as pas besoin de le dire, je le devine ».
Exemple d’indifférence arbitraire : « J’arrive au travail, mon chef ne me dit pas bonjour, j’en déduis (c’est là une distorsion) qu’il est en colère contre moi… », « Il se moque de moi. », « Elle ne m’aime pas. », etc.
Explication : Ce mécanisme de distorsion est une projection sans vérification qui impacte sérieusement notre jugement et nos relations. Elle peut prendre la forme d’une inférence arbitraire qui « déforme » la situation pour la faire coïncider avec notre cadre de perception. Ainsi, à un comportement « incompréhensible » nous attribuons un sens « connu », une explication qui nous rassure ou qui maintient notre position. Une variante :l’Illusion de Connaissance Asymétrique.
Antidote: Chercher la source de l’information ou sa validation, prendre conscience que nous pouvons être dans l’erreur.
Explorer la possibilité que « ce que je pense est peut-être faux. » Car il y a toujours d’autres hypothèses explicatives.
2.2- L’Illusion de Connaissance Asymétrique :
C’est un biais cognitif par lequel les gens perçoivent que leur connaissance des autres est « supérieure » à la connaissance que ceux-ci ont sur eux-mêmes. Pour Pronin (2007) cette attitude consiste à être convaincu de sa propre perspicacité à deviner les intentions des autres tout en étant convaincu de son opacité aux yeux des autres.
Exemple: Combien de fois avons-nous entendu : « Je te connais mieux que tu ne te connais. » ou « Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais. »
Commentaire: Une étude de Pronin et al. (2002) révèle que les gens semblent croire qu’ils se connaissent mieux que leurs pairs ne les connaissent.
Ou que leur groupe social A connaît mieux les autres groupes B que les autres groupes B connaissent le groupe A. Ce biais, qui nous renvoie à l’Erreur Fondamentale d’Attribution (voir plus loin) constitue un obstacle au dénouement des conflits.
Antidote : Prendre conscience que le jugement que nous portons sur les autres n’a aucune raison d’être plus juste (ou plus précis) que celui que les autres portent sur nous. En tant qu’humains volubiles et complexes, nous nous basons sur une approximation partielle du réel et, par nature, nous n’avons pas accès aux motivations profondes de nos interlocuteurs.
D’où l’importance de nous baser, non sur ce que les uns disent des autres, mais nous baser sur leurs actes.
À noter que ce biais cognitif est une variante du Biais de Lecture de Pensée.
2.3- Biais (ou Effet) de Faux Consensus :
Nous présupposons que les autres sont d’accord avec nous et que nous partageons les mêmes croyances. Pour les psychologues, ce biais est une tendance égocentrique qui nous amène à évaluer la conduite des autres à partir de notre propre attitude. Ce biais est amplifié par un entourage constitué de personnes qui nous ressemblent (milieu d’origine, expérience
professionnelle, etc.).
Ce faisant, les individus sous-estiment les positions contraires. Le système des croyances et l’estime de soi se sentent ainsi renforcés par cette illusion de consensus. Cette surestimation pousse les gens à changer (adapter) rapidement leurs propres opinions pour apparaître plus en phase avec les autres.
Exemple: Ce biais de surestimation peut être observé dans des groupes fermés partageant les mêmes croyances politiques, religieuses, etc. d’où sont exclues les divergences.
Ainsi, ces groupes peuvent avoir l’impression que tout le monde pense de la même façon.
Explication: Ce biais pourrait être expliqué par le désir de se conformer au groupe et d’être aimé par les autres. D’où la propension naturelle des individus à s’entourer de personnes avec lesquelles ils partagent des points communs.
Mais l’incertitude et la carence d’informations contribuent également à expliquer ce phénomène. Ces éléments peuvent expliquer, par exemple,
les croyances des fondamentalistes qui ont tendance à surestimer le nombre de leurs supporters par rapport à la réalité.
Remarque: Cette croyance est renforcée par l’Heuristique de Disponibilité, le Biais de Confirmation et/ou par le Biais de Perception Sélective. Ce biais est voisin du Biais de Conformisme et de la Lecture de Pensée.
Antidote : Le doute méthodique et l’ouverture sur la diversité sont des voies à explorer. À l’instar des biais similaires, ne pas se voir comme « déviant » si on ne se conforme pas à la norme, mais plutôt comme « minoritaire actif » qui participe à l’équilibre du groupe dans sa diversité.
La suite de cette Partie 2 dans le numéro prochain, où :
- Nous continuerons à étudier les formes que prend notre cerveau pour nous tromper dans nos saisonnements et jugements
- Et citerons quelques biais en relation avec notre Besoin de chercher des liens de causalité à tout prix.
En attendant, cherchez, lisez et analysez dans un esprit critique !
M. Mohammed Rachid BELHADJ
Coach Professionnel certifié,
Formateur & Consultant,
Ex-DG de grandes entreprises.
Article du magazine « AIGLE », 6ème édition