« Durant mes nombreuse visites dans des entreprises et à l’occasion de nombreux échanges avec des responsables et managers, un sujet quasi-récurent s’imposait, à savoir les caractéristiques des « jeunes d’aujord’hui » et leurs comportement au travail et positonnement par rapport à l’entreprise. Je dois avouer que souvent l’échange tend à accabler ces jeunes en raison de leur insouciance, leur manque de discipline et de patience, leur distance par rapport à l’entreprise, leur volatilité, leur vouloir « arriver » vite,… Loin d’affirmer ou infirmer ce constat très subjectif, il est intéressant de noter qu’il s’agit ici plutôt d’un relevé de perceptions marquées fortement par la différence d’âge, annonçant l’une des manifestations du choc intergénérationnel lorsque le manager est plus conséquemment âgé que le managé.«
C’est là un des aspects intéressants qui est abordé par le management interculturel en analysant les caractéristiques de populations de classes d’âges différentes dans les organisations pour en mesurer la teneur et l’ampleur au sein d’un même aquarium culturel (une nation ou une région par exemple). Dans cette perspective,j’expose quelques indications sur le sujet suite à une enquête que j’ai menée avec l’aide de mes étudiants de la 4ème année à I’ENCG de Tanger en 2019 (cours de management interculturel),qu’ils en soient remerciés (NB : cette enquête a donné lieu à un papier scientifique en cours de publication). Pour aborder cette analyse, j’ai eu recours à l’un des modèles de questionnement et d’analyse comparative des plus connus au monde, celui de G. Hofstede. Ce modèle a été éprouvé en étant utilisé sur une échelle internationale élargie à plusieurs dizaines de pays (dont le Maroc) et durant plusieurs décennies (Bien entendu, il a aussisubides critiques scientifiques dont il ne sera pas question dans ce papier).Le questionnaire, issu dudit modèle, a été administré à plus de 350 interviewés de 2 générations différentes :ceux quisont nés entre
1 990 et 1995 (qu’on appellera par commodité: génération 90,« G90 ») et ceux quisont nés durant les années 70 ou avant (qu’on appellera par commodité: génération 50-70, « G50-70 »).Les résultats exploités concernent 321 individus : 1 93 pour« G 90 >> et 128 pour« G 50-70 >>. Le modèle de G. Hofstede dresse 5 indicateurs, suffisamment spécifiques, pour comparer culturellement les nations et qui sont résumés dans le tableau suivant.
Le résultat global met en évidence trois évolutions culturelles majeures entre les deux générations de marocains à une trentaine d’années d’écart en moyenne,comme le montre le graphe qui suit. Cette évolution est due à plusieurs facteurs dont notamment le système politico-économique. le niveau de prospérité économique, le système éducatif, le système des croyances (religion, valeurs), la mondialisation, etc.
- Un individualisme plus prononcé au sein de la «G 90» :
Pour cet indicateur ( IDV), plus le score est élevé, plus le groupe est individualiste et inversement si le score est plus bas, le groupe est plutôt collectiviste. La génération 90 de l’échantillon est franchement individualiste (avec un score de 93,8) alors que la génération 50-70 a une tendance collectiviste (avec un score de 49.4).
- Une insouciance confirmée face à l’incertitude au sein de la «G 90» :
Pour cet indicateur (Evitement de l’incertitude, UAI), plus le score est élevé, plus le groupe exprime un fort évitement de l’incertitude et inversement si le score est plus bas, le groupe fait preuve d’un faible évitement de l’ incertitude. Avec un score fa ibl e de 17,6, la génération 90 de l’échantillon ne semble pas percevoir comme « menace » ou risque des situations, en société ou dans l’organisation, englobant de l’incertitude, de l’ambiguïté ou encore de la non-structuration. C’est plutôt le contraire pour la génération 50-70, avec un score de 68,6.
- Une génération 90 plus axée sur la satisfaction de ses besoins de loisirs et du « vivre bien » :
Pour cet indicateur (Indulgence-Retenue, IVR ) , plus le score est élevé. plus le groupe est « indulgent» (au sens précisé da ns le t abl ea u plus haut ) et inversement si le score est plus bas, le groupe est dominé par une certaine retenue face à la satisfaction des besoins de loisir et de r éjouissa()ce, etc. Dans ce sens, la génération 90 de l’échantillon est de manière substantielle plus« indulgente n (avec un score de 97,9) que la génération 50-70 (avec un score de 75,6).
- Quelques enseignements en relation avec le management des « jeunes d’aujourd’hui » :
Compte tenu de ces quelques résultats empiriques et sous l’hypothèse que le manager et son équipe sont majoritairement dans la configuration des classes d’âges analysées par l’enquête, il est légitime de s’interroger sur les implications pour le management.
Il semble que ces« jeunes d’aujourd ‘ hui sont résolument plus sensibles que leurs aînés à la per sonnalisation des actes de GRH (for mation, rémunération, motivation, ..) . Ils sont plus enclins à accepter et rechercher le changement. Dans ce sens,il n’est probablement pas pertinent d’attendre d’eux. très tôt et de manière spontanée, une certaine fidélité et engagement à long terme. Ils sont plus regardant sur la qualité des conditions de travail comme sur le temps de loisir et la qualité de vie personnelle que peut leur permettre l’activité professionnelle exercée.
Le manager de la« G50-70 »qui ne perçoit pas ces désidérata de la « G 90 » tout en restant prisonnier de sa perception personnelle (donc de son âge, si j’ose l’expression), aura de grandes chances d’avoir des difficultés à bien manager son équipe,voir de favoriser le terreau de la sous-performance, de l’absentéisme, du turn-over, voire des conflits.
M. BELKHIRI Omar
Coach ICF-Consultant
Formateur d’entreprise et auditeur à Horizon RH-Tanger
Article du magazine « AIGLE », 2ème édition