PARTIE 1 : BESOIN DE TRAITER LE TROP-PLEIN D’INFORMATIONS (SUITE)
Dans le numéro antérieur de notre revue AIGLE 3 , nous avons vu quelques biais qui avaient la « fâcheuse » tendance à ne retenir que certaines informations et délaisser d’autres. Il s’agit des biais suivants le Biais de Disponibilité, l’Illusion de Fréquence, l’Effet de Simple Exposition, l’Effet de Vérité et le Biais d’Ancrage.
À la fin de l’article, nous nous posions la question suivante : Comment se fait-il que nous, êtres « rationnels », voire « experts », nous nous laissions tromper (autotromperie), souvent même après notre prise de conscience ?
C’est le rôle de certains biais (dont Biais de Confirmation, la Dissonance Cognitive et le Biais de la Tache Aveugle, ci-dessous) qui fonctionnent comme des mécanismes « confirmatifs » et/ou « renforçateurs », contribuant grandement à notre cercle vicieux situationnel. C’est l’objet de cette sous partie 2 de la partie 1.
SOUS PARTIE 2- TENDANCE À CONFIRMER OU RENFORCER NOS PROPRES CROYANCES.
Dans un souci de cohérence, notre mémoire est attirée par les détails qui confirment (ou renforcent) nos propres croyances présentes. Ce qui a pour corollaire logique d’ignorer toutes les informations qui contredisent nos croyances, voire à en créer d’autres. Il y a des dizaines de ces biais. Nous en citerons trois.
2.1- Biais de Confirmation
(ou Biais de Confirmation d’Hypothèse) : Ce biais, l’un des plus connus des Heuristiques de Raisonnement (Kahneman, 2012), agit sur notre façon de percevoir et de raisonner. C’est une tendance qui ne prend en considération que les informations qui confirment (ou confortent) nos hypothèses. Cette tendance à sélectionner uniquement les information qui confirment des croyances ou des idées préexistantes (ou interprétations), peut nous pousser corollairement à ignorer, ou réinterpréter, toutes les données qui n’appartiennent pas à notre cadre de référence ou qui le contredisent. La réalité est alors biaisée, sur le plan de la perception et de la valorisation, afin qu’elle corresponde à nos idées préconçues. C’est ce qui rend nos croyances auto-confirmantes. Et « Nous croyons ce que nous voulons croire.»
Exemple 1: Nous aimons être d’accord avec les gens qui sont d’accord avec nous.
Exemple 2 : Dans les médias on ne lit pas les journaux en quête d’information, mais ceux qui confirment nos croyances, et nous pensons après que les « faits » nous donnent raison !
Exemple 3 : La difficulté d’avoir une conversation intelligente entre la gauche et le droite. En effet, même devant des preuves contraires, les parties antagonistes campent sur leur position, avec de minimes ajustements.
Exemple 4 : En entreprise, les décideurs, lors du lancement d’un produit, auraient tendance à vouloir poursuivre les investissements même lorsque les signaux sont au rouge.
Exemple 5 : Lors d’un recrutement nous risquons d’être impressionnés par un diplôme prestigieux négligeant du coup le manque d’expérience du candidat. Ici le Biais de Confirmation est renforcé par un autre biais, le Biais de Halo que nous verrons ultérieurement.
Ce biais est l’un des biais cognitifs les plus courants, mais aussi les plus trompeurs, voire dangereux de par ses conséquences. Il est encore plus prononcé dans des contextes idéologiques, politiques ou dans les contexte sociaux chargés d’émotions.
Les chercheurs psychologues de l’Économie Comportementale et de la Rationalité Limitée se posent la question de savoir « pourquoi avons-nous tant de mal à accepter toute information qui contredit nos idées ? » La difficulté viendrait du fait qu’il est très difficile à éviter si l’on est inconscient de son existence.
D’où la complexité de sa résolution.
Dans ce cas, comment prendre conscience ou se remettre en question, alors que « nous nous considérons comme des gens rationnels » ? Pourquoi notre manière d’assimiler l’information est extrêmement biaisée ? Et comment expliquer que nos croyances perdurent même face à des preuves évidentes?
Une explication : le besoin d’économie d’énergie et de cohérence : Mohajer (2015) rappelle que l’acceptation des informations confirmatives est « facile et demande peu d’énergie » alors, par souci d’économie, notre cerveau fera en sorte d’interpréter la preuve et la biaiser. Car réévaluer en permanence notre façon de voir les choses demanderait trop d’efforts (système 2), du coup nous préférons la renforcer par commodité (système 1, automatique et intuitif).
Concrètement, notre cerveau nous pousse donc à prendre des décisions et à les justifier de manière à rester cohérent par rapport aux choix que nous avons fait, ou par rapport à nos convictions. C’est le rôle « justificatif » de la Dissonance Cognitive (vo ci-dessous) qui interprète (ou réinterprète) une situation dissonante pour en éliminer les contradictions et rétablir une cohérence.
Deux autres biais y sont associés : la Perception Sélective (interpréter de manière sélective des informations en fonction de sa propre expérience) et le Biais de Disponibilité (ci-dessus).
Antidote : Pour sortir du cercle vicieux de cette « boîte confirmatoire », les psychologues cognitivistes préconisent de chercher les preuves du contraire Autrement dit, s’amuser à faire « comme si », en considérant comme vraies les informations qui nous semblent inadaptées, puis imaginer ce que serait la réalité vue sous cet angle « incongru »…
En effet, jouer l’avocat du diable c’est un peu jouer, dans le domaine de l’épistémologie, au critère de la réfutabilité de Karl Popper, critère qui permet de distinguer les champs de la recherche scientifique et les champs des croyances. Ce qui n’exempt pas non plus les scientifiques de tomber dans le piège du Biais de Confirmation, du Biais de la Dissonance Cognitive ou de celui de la Tache Aveugle.
2.2- Dissonance Cognitive (ou biais de l’Atténuation de la DC)
Ou autotromperie. Vous êtes-vous déjà senti mal dans votre peau parce que vous avez fait quelque chose qui va à l’encontre de vos croyances, de vos valeurs ou d’un engagement de faire ou ne pas faire ?
Conséquence : vous avez été dans un état psychologique d’incohérence et partagés entre deux pôles en conflit. Vous avez connu une situation de Dissonance Cognitive (DC). Cette dissonance est la conséquence d’informations simultanées et incompatibles entre elles, qui provoquent un état de tension désagréable, altérant ainsi notre harmonie mentale, nous incitant à rechercher l’état inverse, celui d’une « consonance positive » (Festinger, 1957).
La dissonance (entre deux idées ou la contradiction entre le comportement et les convictions, entre ce qui est et ce qui devrait être, etc.) amène la personne à mettre en oeuvre des stratégies visant à restaurer un équilibre cognitif : changer une ou plusieurs croyances, discréditer certaines informations, rechercher de nouvelles informations… Quelques
exemples :
- Exemple 1 : Le phénomène d’incongruence bien connu du coach qui, lorsqu’il confronte son coaché en lui faisant remarquer son manque d’alignement, ce dernier essaie de se justifier en réinterprétant ou en rationalisant la situation.
- Exemple 2 : L’effet placebo serait une conséquence d’un état de dissonance cognitive, dans la mesure où un patient, après des traitements lourds et couteux, mais sans résultats, refusant que son investissement soit totalement inutile, rechercherait en lui des signes d’amélioration de sa santé, afin de réduire la dissonance.
- Exemple 3 : « J’ai dépensé un mois de salaire pour acheter le denier Smartphone. Mais il ne tient pas la charge. Mais bon, il a plein d’applications qui sont utiles. »
- Autres exemples : ceux qui persistent dans une relation toxique, ceux qui s’accrochent à un travail démotivant, ceux qui négligent leur santé (fumeurs), etc.
En effet, nous avons tendance à vouloir garder une cohérence entre toutes nos attitudes, croyances et préférences, cherchant ainsi à éviter (sinon à éliminer) constamment toute contradiction, tout conflit interne (incongruence…). Cette atténuation de la dissonance répond à un double besoin de cohérence : se convaincre et se justifier à ses propres yeux (autotromperie), et convaincre et se justifier aux yeux des autres de ses actes et comportements. En effet, selon Festinger, le père de la Théorie de la DC, ce n’est pas la logique qui motive la recherche de cette cohérence mais le besoin de justifier le comportement ou les croyances. Pour Festinger (1957), nous ne sommes donc pas des êtres « rationnels » mais des êtres « rationalisateurs » à la recherche du bien-être psychologique.
La stratégie « résolutoire » de la « dissonance » répond à un besoin systémique, celui de l’homéostasie ou de retour à l’équilibre du système. Selon Festinger, la diminution de la dissonance peut être obtenue de trois manières, diminution qu’il illustre par l’exemple de la dissonance entre les
attitudes et comportements suivants (Wikipédia) :
Attitude : Je vais commencer un régime et je dois éviter les aliments gras
Comportement : la personne mange un beignet ou un autre aliment
gras.
A- Changement du comportement/de la cognition et respect de l’attitude. Par exemple : arrêter de manger des beignets.
B- Justifier un comportement/une cognition en aménageant la cognition conflictuelle. Par exemple : Je suis autorisé à tricher de temps en temps .
C- Justifier son comportement/sa cognition en ajoutant de nouvelles cognitions. Par exemple : Je ferai 30 minutes de sport en plus, pour compenser.
Antidote : Les croyances limitantes, surtout celles partagées par un groupe (en entreprise, secte, parti politique, etc.), deviennent des vérités qui ne peuvent être remises en question. Ce sont celles qui posent le plus de problèmes aux coachs. C’est pourquoi, lorsque des faits vont à l’encontre de ces croyances, il est contreproductif de les combattre directement (voir plus loin le Biais Effet Boomerang). Dans ce cas il est plus efficace d’engager un dialogue qui déboucherait sur une prise de conscience, afin de sortir graduellement du déni, que de provoquer sciemment une dissonance cognitive dommageable chez un interlocuteur.
Bref, ce Biais donne de la cohérence aux mécanismes de rationalisation (sous forme de « confirmation et/ou renforcement ») des Biais Cognitifs ci-dessus, et contribue également à leur donner du sens, comme nous le verrons plus tard.
2.3- Biais (ou préjugé) de la Tache Aveugle (ou Blind Spot ou angle mort)
Le fait de ne pas réussir à identifier ses propres biais (de jugement ou de décision), ou travers, et ce aux dépens d’informations plus objectives, est un biais en lui-même. Les gens en général ont tendance à bien mieux identifier les biais cognitifs et motivationnels chez les autres que chez eux-mêmes. Autrement dit, ce préjugé nous laisse croire que nous sommes plus objectifs et moins sujets aux différents biais que les autres personnes (Pronin et Kugler, 2007). Biais qui nous « autorise » à porter des jugements.
Exemple : Généralement nous pensons que nous sommes au-dessus de la moyenne en ce qui concerne les qualités positives que nous apprécions le plus. Par exemple, si nous pensons que la sincérité ou la justice sont des valeurs essentielles, nous croirons que nous sommes plus sincères et plus justes que la plupart des gens.
Cependant, dès qu’il y a une divergence entre ce que l’autre pense (ou perçoit) et ce que nous pensons (ou percevons), nous supposons que nous avons raison et en déduisons que l’autre est moins objectif et rationnel.
Cette autotromperie s’expliquerait par le fait qu’elle nous permet également de nous évaluer sous un jour plus favorable qui renforce notre estime de soi avec, comme «dégât collatéral », reléguer les autres dans la zone aveugle (ce sont les autres qui se trompent. ) et créons et raffermissons notre zone de confort. Et ce faisant, nous évitons l’apparition d’une dissonance cognitive, qui nous forcerait à faire un travail d’introspection nécessaire pour changer certaines de nos idées, perceptions ou croyances.
Antidote : Pistes pour un auto-questionnement : Il est important de distinguer le vrai du faux, le plausible de l’improbable, tout en se méfiant de notre mémoire, des premières impressions et de leurs conséquences : les préjugés et les croyances excluantes. Pour ce faire nous pouvons et devons questionner systématiquement nos croyances : D’où viennent-elles ? Quels sont les faits objectifs qui les étayent ? Et si nous recourons à des contre-exemples provenant hors de notre entourage ? Car nos croyances peuvent être justes et utiles dans un certain contexte, et fausses, voire limitantes, dans un autre.
Ce mécanisme d’exclusion, parce qu’il brise tout pont avec les autres, nous empêche de « grandir », ce qui est exactement ce dont nous avons besoin pour élargir nos horizons. Pour ce faire, une dose d’humilité intellectuelle est nécessaire car nous ne sommes pas meilleurs ou pires, et, comme les autres, nos pensées et comportements sont biaisés dans différents aspects de notre vie.
Soyons donc indulgents avec nous-mêmes et les autres, et élargissons notre cadre de référence, en nous posant la question : « Et si l’inverse était tout aussi vrai ? »
Au prochain article sur les biais répondant aux besoins de donner du sens au monde qui nous entoure.
M. Mohamed Rachid BELHADJ
Coach Professionnel certifié
Formateur & Consultant
Article du magazine « AIGLE » 4ème édition