Parlant de l’éthique organisationnelle, les entreprises ne sont pas à l’abri d’un clivage entre la volonté de bien faire (ou faire du bien), et les contraintes organisationnelles voire opérationnelles qu’elles rencontrent tous les jours dans l’exercice de leurs missions.
Cela pose la question de la place de l’éthique dans l’identité organisationnelle, (ou inversement). Est-ce que l’entreprise se définit comme étant une entité dont la raison d’être est imbibée de sens de responsabilité ? Est-ce que l’éthique n’est qu’une garniture décorant une activité économique orientée principalement vers la rentabilité et négligeant tout effet négatif sur la société ? et au-delà du placement de l’éthique (ou non) au cœur de l’identité organisationnelle, comment est-ce que les entreprises devraient-elles s’auto-définir aujourd’hui dans l’univers socio-économique mouvant et exigeant ?
Le concept de l’identité organisationnelle est complexe et sujet de débat. Mais s’il y a un point commun sur lequel les scientifiques sont d’accord, c’est sa construction sociale dans les relations internes et externes à l’entreprise.
« Organizational identity formation is likely to be a complex process subject to multiple influences and infused with ambiguity and one in which organizational identity is not defined solely by founders and leaders but negotiated by both insiders and outsiders » (Gioia et al., 2010, p.4)
En effet, les représentations que font les collaborateurs de leur entreprise, qu’elles soient vécues ou construites, composent ce qu’on appelle « l’identité organisationnelle ». Il s’agit d’une construction cognitive, basée sur la perception, sur l’image et sur le communément connu ou vécu.
On parle alors d’une identité éthique quand cette représentation est fortement liée à l’éthique organisationnelle, à savoir un code qui balise les comportements et les devoirs, dans lequel l’intégrité et la droiture sont de mise. Généralement, les codes éthiques (appelés aussi codes déontologique, ou codes de bonne conduite) sont composés d’un pentagone de valeurs et de règles. Ils établissent ce qui est correct et incorrect, souhaitable, interdit et sanctionné. En résumé, ils dictent le comportement à respecter par les collaborateurs de l’entreprise. Et ce n’est pas tout, encore faut-il que les collaborateurs appliquent ses règles de manière volontaire et intentionnelle dans leurs pratiques quotidiennes. Au-delà de leur mérite de préciser ce qui est correct de ce qui ne l’est pas, les codes éthiques risquent souvent de ne devenir que des écrits formalisés, communiqués puis stockés sans vie dans les archives. Ce ne sont que dans les entreprises dont l’identité est exprimée en des termes éthiques que les codes, les valeurs et les règles deviennent alors la composante principale de l’ossature permettant à l’entreprise de survivre et se surpasser.
L’identité éthique se voit quand les représentations de l’entreprise, qu’elles soient construites par les collaborateurs ou par les parties prenantes externes, renvoient vers cette droiture. L’entreprise est donc vue comme responsable et intègre dans ses opérations économiques.
Cependant, il est fort de constater que les environnements socio-économiques ne sont pas toujours encourageants pour que cette droiture et intégrité fassent partie intégrante de la vie de l’entreprise. La corruption, le climat de travail stressant, le non-respect de la loi, la fraude fiscale, le window dressing … et bien d’autres forces viennent imposer des pratiques managériales, quand bien même critiquées, mais des fois appliquées au point d’en devenir des règles implicites. On parle alors d’optimisation fiscale au lieu de fraude fiscale, de marketing vert au lieu de green washing, de restructuration au lieu de licenciement abusif … et bien d’autres pratiques. La présence d’un code éthique devient donc une vitrine affichant des valeurs dont tout le monde est d’accord mais que peu appliquent.
En termes de pratiques organisationnelles, une identité éthique renvoie, entre autres, à un management de la responsabilité sociale de l’entreprise, dans lequel le respect des procédures de bonne conduite sont de mise, soit pour répondre à des exigences économiques, soit pour obtenir des certifications, des qualifications ou encore pour répondre aux pressions des parties prenantes.
L’éthique identitaire serait alors tout autre chose. Les codes, les chartes et les manuels n’ont plus de raison d’exister, et même s’ils le sont, ils ne représentent que des écrits. Le focal est mis ici sur l’ADN de l’entreprise, sa raison d’être, son âme et son existence. Dans ce cas, les comportements organisationnels ne découlent pas d’un code de conduite imposé, mais d’une ou plusieurs convictions individuelles et collectives, dont les fondements peuvent être de nature morale, spirituelle ou tout simplement personnelle. On parle ici de « management par la responsabilité sociale », ou encore « embedded corporate social responsibility » dans lequel l’éthique est au cœur des pratiques quotidiennes, toute discipline confondue.
Cela pourrait paraître utopique. Les scandales d’entreprises critiquées pour des pratiques non éthiques laissent croire que toute rentabilité économique triomphale va de pair avec des pratiques fâcheuses au détriment de l’environnement et/ou de la société. C’est pour cela qu’il est du rôle des entrepreneurs et des patrons d’entreprises, d’instaurer une culture organisationnelle dans laquelle l’éthique serait au cœur des représentations individuelles et collectives des parties prenantes, qu’elles soient internes ou externes. D’autant plus que la nouvelle génération de citoyens et de collaborateurs, appelée génération Z, est sérieusement sensible au sens qu’elle donne à son activité économique et aux impacts qu’elle génère pour la société et pour la planète ; que des opportunités pour placer l’éthique au cœur de l’identité organisationnelle.
Mme. Manal EL ABBOUBI
Professeure à l’Université Mohamed V, Rabat
Chercheure Associée, ECONOMIA, HEM Research Center Collaboratrice scientifique, HEC, Ecole de Management de l’Université de Liège (Belgique